Journaliste spécialisé dans les questions d’environnement, d’énergie et de changement climatique (AFP), conseil en développement durable (L’Atelier du climat), administrateur d’Enercoop, ex-responsable de la communication et de l’information de l’ADEME, présentateur du magazine télé « « Ô ma planète » sur l’environnement Outre-mer, redchef de Toogezer puis de Néoplanète (2009-2015). Co-auteur en 2015 de « Menace sur le vin, les défis du changement climatique ». Auteur en 2017 de « Ca chauffe dans nos assiettes, des recettes pour sauver le climat », chez Buchet-Chastel.
Interview d’expert : les secrets du climat passent à table
Fort des constats réalisés en 2015, dans le livre publié « Menace sur le vin « , Yves Leers a écrit un nouveau livre : « Ca chauffe dans nos assiettes » toujours chez Buchet-Chastel, paru en avril 2017. Cette fois il est question des impacts du climat sur l’alimentation et réciproquement. Il est sélectionné pour le « Prix du livre environnement », cérémonie le 9 septembre 2017.
– » En France, selon les régions, les vignerons ne subissent pas les mêmes contraintes et les réponses sont d’ores et déjà différentes. »
- Le réchauffement est un phénomène uniforme et général mais il est plus sensible dans le sud que dans le nord en France, comme on a pu le ressentir cet été 2017. Le réchauffement accompagné de moins de précipitations régulières donc davantage de sécheresse mais parfois aussi d’orages dévastateurs : il se traduit donc par un dérèglement et beaucoup d’imprévisibilité. Face à ces contraintes, les réponses sont différentes. Certains œnologues misent à fond sur le travail à la cave mais les limites sont vite atteintes. D’autres observent davantage la vigne et « l’écoutent » pour mieux comprendre en s’éloignant de la viticulture conventionnelle, tout à fait désarmée. La chimie ne peut rien face au changement climatique. Les mieux armés à ce jour sont les viticulteurs en bio ou biodynamie qui « assistent » la vigne pour qu’elle développe ses propres défenses, en particulier grâce à un meilleur enracinement pour mieux résister au manque d’eau. D’autres irriguent si la ressource en eau est disponible ce qui ne sera pas toujours le cas. On peut aussi jouer sur la taille, laisser la vigne se protéger elle-même, introduire d’autres cultures parallèles, planter moins au sud lorsque ou monter en altitude lorsque c’est possible …
-« Yves Leers, pouvez-vous succinctement nous donner une analyse 2 ans après la publication « Menace sur le vin » ? A ce jour est-il possible de faire un point d’avancement ? «
- Oui, la première avancée depuis que nous avons commencé à travailler sur ce sujet avec mon ami Valéry Laramée de Tannenberg – donc dès 2010 – c’est une plus forte prise de conscience de la réalité du changement climatique et de ses impacts sur les vignobles. Les vignerons sont accoutumés à vivre avec une météo changeante. Ce sera toujours le cas. Mais cette fois c’est le climat qui change avec une météo de plus en plus capricieuse et des risques de maladies de la vigne accrus. Tout est devenu plus compliqué et il faut s’attaquer au phénomène sur tous les fronts. Lorsque nous avons commencé, des pontes du Bordelais jugeaient que le réchauffement était « le bon problème ». Plus personne ne dirait ça aujourd’hui et le dernier Vinexpo (voir ci-dessous la dépêche de l’AFP et l’article de Sud-Ouest) à Bordeaux s’est tenu sous le signe de la lutte contre le changement climatique et avec un fort accent en faveur de la viticulture durable et biologique. Le président de l’UIVB est le premier désormais à plaider pour une réduction des intrants chimiques. Le ton a changé mais les pratiques mettront des années à évoluer. Les consommateurs ont aussi leur rôle à jouer en se détournant des vins titrant 14 ou 15 degrés.
– Les techniques seront-elles capables de s’adapter ?
- Oui et c’est déjà le cas. Les techniques mais aussi les pratiques. Dans les Côtes du Rhône sud on vendange désormais souvent la nuit et les chais sont climatisés. Et si le vin « chauffe » trop on peut lui faire perdre un ou deux degrés grâce à l’ultrafitration, ce qui se pratique couramment aux Etats unis et certains s’y préparent dans le Bordelais. Mais cela change la nature du vin. Tout cela a une limite, celle du réchauffement. Avec un degré de plus (c’est le cas aujourd’hui) les parades sont possibles. Avec deux degrés tout devient plus compliqué. A trois degrés c’est l’inconnu !
– Certains cépages résisteront-ils mieux que d’autres ?
- Oui, on sait que le merlot supporte mal la chaleur mais que le cabernet-sauvignon résiste mieux. On assiste donc à un fort développement de la recherche sur de nouveaux cépages, sur des hybrides, sur des croisements et des cépages modifiés génétiquement. Bordeaux a d’ailleurs planté une vigne expérimentale d’une cinquantaine de cépages différents de toute l’Europe pour tester les plus résistants et les mieux adaptés au climat à venir. Des banques de cépages ont survécu en Grèce et au Portugal et sont fort précieuses pour imaginer la vigne de demain. En France, les vignobles se préparent et testent des cépages locaux oubliés (jugés insuffisamment productifs il y a 50 ou 60 ans), que ce soit en Bourgogne ou dans les Côtes de Provence et bien sûr en Champagne. Dans le val de Loire, on se frotte plutôt les mains et le chenin blanc a pris du caractère. Alors plantera-t-on de plus en plus en plus au nord, en particulier en Allemagne ? Probablement mais une chose est certaine : la donne a changé et il faut en tenir compte sous peine de grandes désillusions dans un avenir proche. Nous allons vers un autre monde du vin et les Français (comme les Italiens et les Espagnols qui sont à eux trois les premiers producteurs mondiaux) ont intérêt à comprendre qu’ils ne sont pas seuls dans ce monde-là.
Yves Leers est journaliste, spécialiste du changement climatique et du développement durable.
Il a longtemps travaillé à l’AFP dont il a dirigé la rubrique Environnement ainsi qu’à l’ADEME. Consultant sur les questions d’environnement, d’énergie et de climat, il a publié en 2015, avec Valéry Laramée de Tannenberg, Menace sur le vin, les dés du changement climatique (Buchet/Chastel).
Jean-Luc Fessard est journaliste spécialisé dans les questions d’environnement.
Il est l’initiateur et l’animateur de l’association « Bon pour le climat », dans laquelle des restaurateurs, des hôteliers, des traiteurs et des consommateurs s’engagent ensemble pour promouvoir une alimentation bas carbone.
En savoir + : livre en ligne
Revue de presse :
- A Vinexpo, des vignerons prônent l’unité contre le réchauffement climatique 19/06/2017 (AFP)
Tailler la vigne, encourager la biodiversité, développer les cépages résistants … des vignerons, réunis à Vinexpo Bordeaux, font assaut d’imagination pour sauver leur vin et appellent à une mobilisation générale du monde viticole pour faire face aux inondations, à la sécheresse et autres catastrophes liées au réchauffement climatique.
« Que pouvons-nous faire? Nous pourrions créer un groupe au niveau mondial regroupant les domaines viticoles afin d’agir sur la réduction des gaz à effet de serre (…) et mener un changement qui serait suivi par d’autres entreprises. Nous avons besoin de grands changements », a annoncé Miguel Torres, président de Bodegas Torres en Espagne.
Pour répondre à l’accord de Paris qui prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre, des viticulteurs ont montré qu’ils pouvaient agir individuellement et ont appelé à s’unir pour, notamment, faire pression sur les décideurs, telle est la conclusion de la conférence au salon mondial des vins et spiritueux Vinexpo, intitulée « le secteur du vin face aux défis et enjeux du changement climatique ».
La profession possède un argument de poids, note John Holdren, président de la Faculté sciences de l’environnement à l’Université américaine d’Harvard: « Presque tout le monde comprend quelque chose au vin et beaucoup en boivent. De nombreux dirigeants influents dégustent des grands crus. Si nous pouvons leur faire comprendre que leurs grands vins sont en danger, nous aurons une forte influence dans cette discussion! », sourit-il.
– ‘Les vignes, des plantes très sensibles’ –
Car l’heure est grave: la sécheresse, les incendies comme en Australie ou au Chili, la grêle, les gelées tardives qui ont en particulier frappé en France fin avril, les inondations, etc., détruisent les vignes. Ces aléas climatiques devraient s’accentuer, prédit John Holdren, expliquant que la canicule de 2003 sera un été normal en 2040 et un été frais en 2060.
Même une faible hausse des températures affecte grandement le vignoble: « Les vignes sont des plantes très sensibles, elles sont comme un thermomètre », souligne Gaia Gaja, copropriétaire de Gaja Winery en Italie, l’un des grands noms du vin.
Tous les domaines dans le monde sont ainsi concernés par ce changement climatique qui peut rendre les vins plus puissants et moins complexes aromatiquement avec des taux d’alcool plus élevés, pouvant facilement atteindre 16 à 17 degrés, ainsi qu’un manque d’acidité.
-Pour des vignes ‘résilientes’-
Les viticulteurs ont tôt fait de s’adapter avec des initiatives individuelles, parfois collectives comme dans la Napa Valley en Californie, mais cela a un coût.
La Maison Torres, qui a investi 12 millions d’euros dans la recherche, tente de transformer le CO2 de différentes manières — des algues au méthane — à recycler l’eau et à baisser de 25% sa consommation énergétique.
Des cépages, plus précoces ou tardifs, reviennent aussi au goût du jour comme le petit verdot à Bordeaux qui arrivait auparavant difficilement à maturité. Au Liban, le château Kefraya, présent à Vinexpo, replante des cépages plus tardifs avec davantage d’acidité comme le cinsaut pour faire face à une augmentation des températures de deux degrés en 10 ans.
La sélection génétique de cépages plus résistants à la sécheresse est expérimentée, mais la qualité n’est pas encore au rendez-vous pour faire de grands vins, selon plusieurs professionnels.
Autre conséquence du changement climatique: la géographie des vignobles. Certaines régions viticoles pourraient disparaître et d’autres faire leur apparition. Déjà, les domaines s’organisent: la Maison Torres, présente au Chili, a acheté des terres dans le sud du pays, près des lacs, tandis que le champagne Taittinger a investi en Angleterre pour y produire dans quelques années du vin effervescent.
Dans la vigne davantage que dans les chais, des vignerons changent complètement leurs méthodes de travail, parfois aidés des scientifiques, pour faire pousser des « vignes résilientes », comme les qualifie Gaia Gaja. Dans ses trois domaines italiens, aucun produit chimique n’est dorénavant utilisé, l’herbe, les féveroles ou encore l’orge sont cultivés entre les rangs de vignes pour contenir l’humidité ou favoriser la biodiversité…
Une vraie révolution que la jeune femme résume ainsi: « Notre travail ces 15 dernières années n’est plus de prendre soin des vignobles mais de prendre soin de la vie ».
- SUD-OUEST du 22 JUIN 2017 Viticulture : le réchauffement climatique au menu de Vinexpo 2017
Avec le réchauffement climatique, la vigne risque disparaitre de certaines régions du monde. Photo archives « Sud Ouest »
Pour la première fois de son histoire, l’édition 2017 de Vinexpo qui s’est achevée ce mercredi 21 juin à Bordeaux, affichait clairement la couleur verte. Lors du plus fameux salon international du vin qui, cette année, a mis à l’honneur le bio, le gotha mondial des acteurs du vin et des spiritueux a placé au coeur de ses préoccupations l’impact du réchauffement planétaire sur la viticulture, en associant des experts à la réflexion des professionnels du marché viticole.
Réussir l’adaptation au changement climatique, un enjeu vital pour la viticulture
Sur ce sujet du changement climatique, la viticulture a définitivement fait son aggiornamento et, dans le monde du vin, les climatosceptiques pointent désormais aux abonnés absents. « Le changement climatique est une préoccupation grandissante pour tous les producteurs de vins partout dans le monde car les plus petites fluctuations de température ou la pluie ont des incidences directes sur la production » affirme Guillaume Deglise. En la matière, pour le directeur général de Vinexpo, le rôle du grand rendez-vous bordelais consiste donc à « faire un état des lieux de la situation et de réfléchir ensemble afin de continuer à développer des stratégies à succès pour l’avenir de toute la filière viticole. »
Il est vrai que pour la viticulture, réussir l’adaptation au réchauffement climatique est un enjeu de taille. Dans le meilleur des cas, les rapports successifs du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) indiquent que la température à la surface du globe devrait augmenter de + 1,5° à + 2° d’ici à 2050. Une donnée climatique qui n’est évidemment pas sans conséquences pour le vignoble, l’une des cultures les plus sensibles aux variations climatiques.
Des vins plus concentrés, un degré d’alcool plus élevé
La hausse des températures modifie dores et déjà le degré d’alcool des vins et leur acidité. Dans les régions du Sud comme le Languedoc Roussillon, les vins sont de plus en plus concentrés et les vendanges de plus en plus précoces. Toutefois, le changement climatique affecte la culture de la vigne de façon différente d’un vignoble à l’autre et profite à certains. Ainsi, à l’inverse, en Champagne, le réchauffement semble pour l’instant une bonne chose : des raisins plus mûrs, plus sucrés et moins acides affectent positivement les vins.
Vendanges précoces, rendements en baisse
De son côté, le BNIC (Bureau national interprofessionnel du cognac) qui consigne des données depuis quarante ans, constate que les vendanges se font désormais avec deux à trois semaines d’avance par rapport aux années soixante-dix. La sécheresse fait également baisser les rendements puisque les vignes produisent moins de fruits dans les périodes trop sèches.
Une cartographie mndiale du vignoble modifiée
Il y a quatre ans, en 2013, une étude du climatologue américain Lee Hannah arrivait à la conclusion que, d’ici 2050, la surface de terres propices à la culture de la vigne en Europe devrait diminuer de 68%, en indiquant q' »elles pourraient se réduire dans de nombreuses grandes régions traditionnellement productrices de vin ». Globalement, dans le monde, on observe très clairement la montée vers le Nord des conditions favorables à la culture de la vigne. D’ici un siècle, si le réchauffement climatique se poursuit au même rythme, la Grande-Bretagne ou le Danemark pourrait produire d’excellent vins rouges. En France, une véritable culture viticole pourrait se développer en Bretagne ou en Normandie.
Le Bordelais en première ligne
En France, le mercure a grimpé de 1,3°C depuis 1880, une hausse supérieure à la moyenne planétaire, de 0,85°C. En Aquitaine, l’une des régions où, selon le climatologue Hervé Le Treut, « le réchauffement risque d’être le plus fort en raison de sa situation géographique et de son positionnement par rapport à l’anticyclone des Açores », la température estivale a augmenté de 3°C durant la seconde moitié du XXème siècle. Le plus grand vignoble de France, le Bordelais, pourrait subir à l’avenir des hausses de température estivale de 5° à 10°C.
« Un bon problème »
Pour l’heure, en Gironde, le soleil qui bonifie le vin réjouit les vignerons. Dans « Menace sur le vin, les défis du changement climatique », un essai revigorant signé de Valéry Laramée de Tannenberg et Yves Leers, sorti en octobre 2015, l’un d’entre eux confie que le réchauffement est « un bon problème » – et les vendanges exceptionnelles se multiplient. Mais depuis 30 ans, le vin a gagné 1° d’alcool par décennie. Pour les chercheurs américains, « une température moyenne de 18,8°C lors de la croissance de la vigne, placerait Bordeaux à la limite de la température optimale pour de nombreux vins rouges ». Son cépage phare, le merlot, supporte mal le réchauffement et à terme, c’est tout l’équilibre des vins qui pourrait être rompu.
La filière viticole face au changement climatique
Si la filière viticole prend très au sérieux les conséquences d’un tel réchauffement, et si elle a conscience de l’urgence de son adaptation, la situation est très complexe pour les viticulteurs. D’autant que tous ne sont pas logés à la même enseigne face au changement climatique, profitable pour les uns et préjudiciable pour d’autres. Pour préserver leurs intérêts économiques et garantir l’avenir d’une pratique agricole ancestrale, il va leur falloir choisir la (ou les) bonne réponse, dans la palette des solutions qui s’offrent à eux.
Déménagement vers des cieux plus propices, orientation des rangs nord-est/sud-ouest, exposition au Nord, modification des pratiques culturales, des dates et des heures de vendanges, utilisation de cépages plus tardifs et de cépages anciens, développement de « vignes résilientes » venues du sud ou encore sélection génétique de cépages… Autant de thèmes qui agitent aussi le monde scientifique et les chercheurs du CNRS et de l’Inra, débattus lors des deux conférences organisées par Vinexpo : « Le secteur du vin face aux défis et enjeux du changement climatique », en partenariat avec Wine Spectator, et « La France septentrionale à l’heure du réchauffement climatique » avec les experts en vin Bettane & Desseauve.
►A LIRE
- « Menace sur le vin, les défis du changement climatique », Valéry Laramée de Tannenberg, Yves Leers, coll. Dans le Vif, Ed. Buchet-Chastel, 122 p., 12 €. « Menace sur le vin, les défis du changement climatique »,